• La leçon d'anatomie.

                                           Le nouveau prof de Sciences Naturelles(1) Tout à fait le même genre, la petite serre.a une deux-chevaux décrépite - il changera de voiture à la fin de l'année - où s'étale, sur la vitre arrière, un grand autocollant : « Jésus Sauve ».

    Jeune, l'air animateur de camp de scout, barbe noire en bataille, il arbore toujours un large sourire.

    Dernier arrivé du corps enseignant, il doit encore faire ses preuves.

    Ses cours se donnent à l'arrière du bâtiment du Collège (cf. 12 mai & 24 juin), dans une grande pièce au rez-de-chaussée.

    De la fenêtre, on découvre La Ferme à quelques centaines de mètres et, à mi-distance, une petite serre basse en mauvais état. Inutilisée, des carreaux en sont cassés.

    Une tribu de chats tigrés, dérangés seulement par quelques escargots, y a élu domicile. Semi-sauvages, ils savent se défendre et les élèves ne les approchent que de loin en loin.

    L'un d'eux, peut-être moins méfiant que les autres, a été attrapé la veille. Winnie, Barend, Didier, Richard et moi, qui participons ce matin-là aux travaux pratiques, n'en savons rien.

    Au programme : les mammifères. La salle, éclairée profondément par les rayons du jour qui se lève, me semble plus immaculée, plus en ordre que d'habitude.

    A même les catelles grises d'un plan de travail, drogué, sur le dos, pattes attachées et tête calée entre deux petites barres de métal, se trouve le minet. On le voit respirer, mais il est dans les vaps.

    Le prof en blouse blanche - comme nous - se fend d'un bref laïus alambiqué par lequel il cherche à démontrer l'intérêt objectif de son initiative, à nous réconforter et à balayer tout sentiment de culpabilité.

    Et là, ce n'est qu'une planche.Tandis qu'il argumente, nous ravalons notre salive en nous demandant si nous allons pouvoir supporter, participer même, à cette barbarie à visage rationnel.

    Surmontant le dégoût général, l'odeur - décollage de l'intestin, l'émotion - découvrir en même temps que dépecer les trois paupières en faisant face au regard absent du matou, aucun de nous ne flanchera.

    Découpé, le cœur est immédiatement suspendu à une tige en fer et branché à un robinet. Il continuera de battre pendant toute l'opération.

    Affairés plusieurs heures durant, nous ne laisserons qu'une fourrure vide, maintenue par des fragments de squelette nettoyé, et des pièces détachées.

    Si mes camarades et moi avons pu dominer notre indignation et notre écœurement pour débiter méticuleusement un être vivant, c'est que la mise en condition nous a sérieusement amadoués: coma de la victime, observation réalisée au nom d'une démarche dite scientifique, prescrite dans un cadre et par une autorité éducative, à l'occasion de laquelle nous ne voulons pas montrer nos faiblesses.

    Evidemment, il ne me reste à peu près rien de l'enseignement proprement biologique de ce sacrifice matinal. J'en ai cependant retenu que le christianisme autorise une singulière conception du rôle de nos frères inférieurs (cf. le 12 mai).

    Pour ce qui est du prof, il a dès lors trouvé sa place. Malgré sa dégaine sympa, son visage invariablement jovial, les enseignants et élèves le respecteront, mais il ne sera pas aimé.

    D'ailleurs, il n'a pas répété cette forme de pédagogie avec les volées suivantes. Pas même sur la dépouille d'animaux abattus pour la boucherie (Ouf !).

     

    1. En haut, la tête de l'enseignant, caricaturée à l'époque par un élève.


  • Commentaires

    1
    Lundi 23 Juillet 2007 à 04:40
    Oui,
    c'est pas top tout ça! Jesus sauve! Heureusement...
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